L'homophobie

44% des gays adolescents sont victimes des violences homophobes de la part de leurs camarades d'école, 14% par des membres de leurs familles.

Les gays et les lesbiennes ne sont pas à l'abri des sentiments homophobes. La haine de la société envers les homosexuels peut se transformer en haine de soi à la manière du personnage proustien Charlus qui, À la recherche du temps perdu, dénigre violemment les autres sodomites. Dans une société où les idéaux sexuels et affectifs sont construits sur la base de la supériorité psychologique et culturelle de l'hétérosexualité, il semble difficile d'esquiver les conflits intérieurs résultant d'une non-adéquation à de telles valeurs. De surcroît, les gays et lesbiennes grandissent dans un environnement qui déploie ouvertement son hostilité anti-homosexuelle (manifestation anti-PaCS par la députée BOUTIN avec la participation des associations catholiques et le Front National).

L'intériorisation de cette violence, manifestée sous la forme d'insultes, d'injures, de propos méprisants, de condamnations morales ou d'attitudes compassionnelles, mène beaucoup d'homosexuels à lutter contre leurs désirs, provoquant parfois des troubles psychologiques graves. Culpabilité, anxiété, honte et dépression sont les principales manifestations d'une telle réaction. Le stéréotype encore répandu de l'homosexuel incapable d'une vie affective, sans famille ni enfant et finissant ses journées dans une solitude, hante l'esprit de nombreux gays et lesbiennes qui, pour éviter ce «destin tragique» se livrent à une entreprise de rejet de leur propre sexualité.

L'American Psychiatric Association reconnaît que les principaux agents de prédisposition à l'homophobie intériorisée sont les préjugés individuels et l'intolérance sociale envers l'homosexualité.

A l'origine de cette intolérance se trouve ce que M. Dorais n'hésite pas à appeler «l'intégrisme identitaire», qui entend nous prescrire des comportements en fonction de notre sexe biologique. D'après l'auteur, cet intégrisme est «tout aussi dangereux que le fondamentalisme religieux ou le totalitarisme : il impose un modèle de conduite unique, rigide et oppressant. Il tourne même à l'obsession lorsque la misogynie, le sexisme et l'homophobie conjugués mènent les thérapeutes à vouloir corriger ces erreurs de la nature que seraient les garçons féminins, les filles masculines et les adolescents prétendument en route vers une orientation homosexuelle ou bisexuelle».

Dans un tel contexte de violence, il n'est pas étonnant que les jeunes homosexuels soient particulièrement touchés par la dépression, l'hospitalisation psychiatrique et les tentatives de suicide.

T.Hammelman démontre sur ce point que l'homosexualité est l'une des principales causes de tentative de suicide chez les adolescents : l'isolement social, le harcèlement, les nombreux risques de violences ainsi que le rejet familial accentuent la perte d'estime de soi. Une enquête américaine montre que 40% des 500 gays et lesbiennes interviewés ont sérieusement considéré la possibilité ou ont tenté de se suicider. Les adolescents gays sont presque trois fois plus nombreux que leurs pairs hétérosexuels à mettre fin à leur vie.

De surcroît, l'épidémie de Sida est venue renforcer le sentiment de culpabilité et la perte d'estime, à tel point que l'homophobie intériorisée devient un véritable problème de santé publique.

L'acceptation de leur homosexualité leur est si difficile qu'un nombre important de gays se trouvent dans une situation d'isolement et d'angoisse particulièrement dure à surmonter.

L'éducation sexuelle et affective des gays et des lesbiennes se fait dans la clandestinité, les références littéraires, cinématographiques et culturelles sont presque inexistantes, et lorsqu'un personnage homosexuel est évoqué, c'est souvent sous la forme de la dérision ou de la tragédie. Il suffit de regarder autour de soi pour s'apercevoir qu'aucune publicité ne s'adresse aux couples de même sexe, qu'aucun film ne met presque jamais en scène les amours homosexuelles, alors que les passions hétérosexuelles sont sans cesse célébrées. Face à un tel manque de références culturelles, la détresse dans laquelle se trouvent beaucoup d'adolescent(e)s gays et lesbiennes semble compréhensible. La manifestation publique de leur homosexualité (coming-out) constitue, en ce sens, un moment libérateur. Par ce geste, beaucoup de gays et lesbiennes entendent finir avec une forme de clandestinité dans laquelle ils avaient été confinés.

Le coming-out peut aussi devenir une situation particulièrement salutaire mettant un terme à la socialisation hétérosexiste et permettant, par conséquent, de restaurer l'estime de soi et de ses semblables. Sans nier cette dimension affirmative, une autre lecture semble également nécessaire : le coming-out peut aussi représenter une sorte de justification sociale et d'inscription dans une identité sexuelle.

Aucun hétérosexuel ne songe à faire son coming-out, il est déjà dans l'univers public, de par sa «normalité» il jouit depuis toujours de la présomption d'hétérosexualité.

L'homosexuel, lui, à cause de sa différence, doit s'annoncer, demander permission et prévenir les «normaux» de son entrée dans un territoire qui ne lui est pas naturellement destiné.

Daniel BORILLO, Maître de conférences Université Paris X

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