Moyens pour lutter contre l'homophobie
De même que le racisme, l'antisémitisme ou la misogynie, l'hostilité envers les gays et les lesbiennes est avant tout le résultat de l'impossibilité de se représenter la différence, surtout lorsque celle-ci est perçue comme menaçante ou simplement dérangeante.

Depuis des dizaines d'années on a cessé de considérer l'homosexualité comme une conduite déviante, et si l'on accepte que la "différence homosexuelle" est dépourvue de tout sens politique, aucun motif ne justifie que lui soit réservé un traitement juridique d'exception. En effet, les homosexuel/les ne constituent pas une communauté et encore moins un sujet politique. L'homosexualité a certes profondément marqué la vie de nombreuses personnes, elle n'a pourtant pas d'autre signification que celle attribuée individuellement par chaque gay et chaque lesbienne. S'il n'y a pas de communauté homosexuelle, il existe en revanche une véritable "communauté hétérosexiste" instituée par l'homophobie.

L'homosexualité n'existe pas, en ce sens qu'elle n'est en réalité rien d'autre que l'invention impersonnelle d'une homophobie sociale qui a fabriqué une sorte de "nature hétérosexuelle" sur la base d'un postulat extrêmement simple : un hétérosexuel est le contraire d'un homosexuel.

Ce puissant sentiment d'appartenance, de participation naturelle et spontanée à l'hétérosexualité, a pour effet de provoquer une adhésion immédiate, irréfléchie, à une identité ressentie comme originaire dans laquelle les "normaux" (hétérosexuels) de tous milieux peuvent se reconnaître. Or, cette construction sociale de la normalité n'a rien de naturel; des centaines de traités théologiques, des encyclopédies médicales, des recommandations morales, des codes, des règlements, mais aussi des contes de fées, des films et des romans ont été nécessaires pour enraciner ce sentiment au plus profond des consciences. Signaliser l'autre pour se conforter soi-même, voici la logique d'un mécanisme psychologique bien rodé qui a rapporté la preuve de son efficacité dans bien d'autres domaines (racisme, antisémitisme, xénophobie...).

Préalablement à la répression, la lutte contre l'homophobie nécessite donc une action pédagogique destinée à modifier cette double image ancestrale d'une hétérosexualité vécue comme naturelle et d'une homosexualité présentée comme un dysfonctionnement affectif et moral.

L'homosexualité est un préjugé et une ignorance qui consiste à croire en la suprématie de l'hétérosexualité. C'est effectivement ce parti pris qui mérite d'être interrogé. Au nom de quel principe et en vertu de quelle thèse peut-on encore continuer à soutenir que l'hétérosexualité est préférable à l'homosexualité ? Peut-on accepter l'invocation des exigences de la reproduction de l'espèce pour fonder un tel jugement ? La tradition peut-elle encore justifier le traitement de faveur dont l'hétérosexualité bénéficie ?

Les raisons qui ont conduit à croire en la prééminence de l'accouplement hétérosexuel sont aujourd'hui contestées. En réalité, l'homophobie constitue une menace pour les valeurs démocratiques de la compréhension et de respect d'autrui, en ce sens qu'elle promeut l'inégalité des individus en fonction de leurs simples désirs, encourage la rigidité des genres et favorise l'hostilité envers l'autre.

En tant que problème social, l'homophobie doit être considérée comme un délit susceptible d'être une sanction juridique.

Toutefois, la dimension répressive est dépourvue de sens si elle n'est pas accompagnée d'une action préventive. En effet, un nombre important de personnes considèrent encore que l'homosexualité constitue un dysfonctionnement psychologique, voire une maladie. Le débat autour de la reconnaissance légale des couples de même sexe en France a donné lieu en France à de nombreuses réactions, parmi lesquelles une marche au centre de la capitale le 31 janvier 1999, au cours de laquelle des milliers de personnes vociféraient le slogan "les pédés au bûcher", sans que cela n'ait soulevé la moindre indignation. Or, la prise de conscience de la gravité du phénomène homophobe semble un préalable nécessaire à toute action répressive, car dans le cas contraire celle-ci sera nécessairement ressentie comme partiale, au service exclusif des intérêts d'une partie de la population. En réalité, l'homophobie est non seulement une violence contre les homosexuels, mais également une agression contre les valeurs qui fondent la démocratie. "Je me croirais le plus heureux des mortels, si je pouvais faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés", écrivait Montesquieu dans son Esprit des lois; moins ambitieux, nous devons prendre conscience de la violence des préjugés, et c'est seulement si cette entreprise s'avérait impuissante qu'il faudrait envisager d'en appeler aux instruments répressifs du droit.

La prévention de l'homophobie

La violence et la discrimination à l'égard des homosexuels se déroule fréquemment dans la plus grande indifférence de la population. Régulièrement nous apprenons que de nombreux gays, lesbiennes, bisexuels, travestis et transsexuels vivent dans la crainte de subir des agressions du simple fait de leur orientation sexuelle. Dans un rapport accablant, Amnesty International dénonce les meurtres, les exécutions légales, les tortures, les viols, les thérapies forcées, les licenciements abusifs et les insultes dont les homosexuels sont encore souvent victimes. Les pays ayant décriminalisé l'homosexualité sont minoritaires, et elle demeure dans la plupart des cas punie d'une peine d'emprisonnement. En Afghanistan, en Iran, en Mauritanie, en Tchétchénie et au Soudan, les homosexuels sont passibles de lapidation ou de flagellation et ils peuvent subir la peine capitale.

Les paroles récentes de l'ayatollah Musava Ardelsili à l'Université de Téhéran nous ramènent au passé inquisitorial du Moyen Age européen : "Pour les homosexuels, l'Islam a prescrit les peines les plus sévères ... Après que la preuve a été établie conformément à la Charia, il faudra se saisir de la personne, la maintenir debout, la partager en deux avec une épée et soit lui trancher la tête, soit la fendre en deux toute entière. Il (ou elle) tombera ... Après sa mort, il faudra dresser un bûcher, placer le cadavre dessus, y mettre le feu et le brûler, ou bien l'emporter sur une montagne et le précipiter. Puis les morceaux du cadavre devront être rassemblés et brûlés. Ou alors il faudra creuser un trou, y faire un feu et l'y jeter vivant(e). Nous n'avons pas de telles punitions pour d'autres crimes."

Même dans les États où la loi ne proscrit pas l'homosexualité, des gays et des lesbiennes sont souvent victimes du harcèlement policier. Ainsi, "au Royaume-Uni, des allégations faisant état du mauvais traitement envers des homosexuel(le)s ont été portées à la connaissance d'Amnesty International". Au Brésil et en Colombie des escadrons de la mort sont à l'origine de centaines d'assassinats de gays et de travestis. Plusieurs chefs États africains profèrent régulièrement des injures homophobes, celui du Zimbabwe a ainsi récemment déclaré que "les homosexuels sont pires que les porcs et les chiens."

En France les agressions physiques et verbales contres les homosexuel(le)s sont toujours nombreuses et contribuent à la culpabilisation des personnes qui croient que leur homosexualité constitue un handicap difficile à surmonter. Cette "homophobie introjectée", cette hostilité intériorisée représente la forme la plus sournoise des violences hétérosexistes. L'ensemble des situations évoquées démontre la méconnaissance généralisée de la "question gay et lesbienne". Si aujourd'hui les insultes les plus courantes sont celles de "pédé" (abr. de "pédéraste" ) ou "enculé", cela illustre la banalisation de cette agression, de cette forme de violence symbolique véhiculant la haine vis-à-vis de ceux qui s'écartent de la norme hétérosexuelle. Chaque insulte proférée rappelle ainsi l'existence de l'ordre sexuel et de sa hiérarchie.

La première tâche pédagogique consisterait donc à questionner cet ordre hétérosexiste et à mettre en évidence que la hiérarchie des sexualités est aussi insupportable que celle des races ou des sexes.

Le chantier est vaste, compte tenu du caractère diffus de l'homophobie. Comme le racisme, elle constitue d'abord une expérience vécue; pour reprendre l'expression d'A. Memmi : "Nous l'ingurgitions avec nos premières galettes ou nos premiers beignets à l'huile." Les discours et les théories viennent après pour conforter cet a priori.

L'entreprise pédagogique devra commencer par dénoncer l'ensemble des codes culturels et des structures sociales qui transmettent les valeurs renforçant les préjugés et la discrimination à l'égard des gays et des lesbiennes. C'est tout d'abord aux familles qu'il faudra s'adresser afin que les parents comprennent qu'un fils gay ou une fille lesbienne ne constitue nullement un problème, mais qu'en revanche, le rejet ou la non-acceptation de ses enfants en raison de leur orientation sexuelle et la violence traumatisant qu'ils impliquent, doivent être les véritables sujets de préoccupation. L'annonce de leur différence aux proches, et principalement aux membres de leur famille, constitue en effet la principale source d'angoisse des adolescents homosexuels.

L'école a également un rôle capital à jouer dans la lutte contre l'intolérance. Elle doit faire comprendre que l'égalité des gays et des lesbiennes est l'affaire de tous. Dans les cours et les manuels, l'homosexualité et la bisexualité devraient être présentées comme des manifestations de la sexualité aussi légitimes et épanouissantes que l'hétérosexualité.

Enfin, l'homosexualité des personnages historiques, littéraires ou scientifiques pourrait être évoquée tout aussi naturellement que le mariage de telle reine ou les aventures amoureuses de tel révolutionnaire. Mieux intégrer l'idée de la diversité sexuelle ainsi que l'importance des valeurs d'égalité et de non-discrimination à l'égard des homosexuel/les devrait faire partie de la formation des professionnels amenés à travailler en relation avec certains aspects de la vie privée des citoyens en particulier leur orientation sexuelle. Pendant longtemps, la police, les juges, les médecins, les psychiatres, entre autres, ont activement participé à la répression des gays et des lesbiennes; c'est donc au sein de ces professions qu'il conviendra principalement de développer des actions pédagogiques.

Dans un rapport de 1994, la Commission des droits de la personne du Québec a élaboré des propositions destinées à lutter contre la violence et les discriminations envers les homosexuel/les.

Elle recommande ainsi que soient prises toutes les mesures permettant de "garantir une sensibilisation adéquate et approfondie au vécu des gays et lesbiennes et une conscientisation des intervenants relativement à leurs préjugés homophobiques". Des campagnes de sensibilisation, des programmes d'information et de formation relatifs à l'orientation sexuelle sur le lieu de travail, dans les services sociaux, le monde académique et les autorités judiciaires, sont également proposées par cette Commission. Une attention particulière est prêtée à l'éducation publique contre l'hétérosexisme et l'homophobie. La presse, la radio et la télévision sont invitées à mettre fin aux clichés et aux stéréotypes reposant sur l'ignorance et les préjugés et à présenter une image positive des homosexualités. Enfin, des mesures spécifiques sont proposées pour soutenir l'accompagnement des victimes de la violence homophobe. Dans le même sens, les autorités européennes ne cessent, depuis vingt ans, d'inviter les États membres à prendre des dispositions pour mettre fin aux discriminations et aux violences dont les homosexuels sont toujours victimes.

Deux propositions de directives communautaires et une décision du Conseil mettent en place un programme européen pour évaluer le degré de tolérance envers les minorités, afin de combattre efficacement les manifestations discriminatoires dans l'ensemble des pays membres.

Parmi les acteurs cibles à associer dans la lutte contre les discriminations, l'Union européenne donne comme exemple "les décideurs politiques des administrations nationales, régionales et locales, les organismes indépendants, les organisations non gouvernementales, les partenaires sociaux, les instituts de recherche, les médias, les formateurs d'opinion, les prestataires de services sociaux, le système judiciaire et les services chargés de l'application de la loi." Dans le même ordre d'idées, un rapport de l'association Stonewall de Londres propose un plan d'action concernant notamment les domaines de la police, de l'éducation, du droit, de la justice pénale, de l'éducation. Il s'agit de favoriser les liens entre les homosexuels et les institutions afin de favoriser la compréhension des difficultés et des violences auxquelles ils sont soumis. Ce document propose également un guide sur la violence homophobe ainsi que des séances de sensibilisation dans les lycées, les universités, et auprès de l'opinion publique. Une modification de la loi mettant un terme à toutes les formes de discrimination et la pénalisation des discours de haine homophobe est vivement conseillée. Enfin, un budget spécifique est sollicité en vue de financer les études scientifiques sur l'homophobie et ses conséquences psychologiques et sociales.

Certes, la loi peut favoriser un changement social de l'image des homosexuels et de l'homosexualité, mais elle demeure toutefois impuissante si un travail pédagogique ne l'accompagne pas. La simple proposition de l'hétérosexualité constitue en soi une violence quotidienne envers ceux qui ne partagent pas ce sentiment supposé commun :

  • le médecin qui s'adresse à un patient du sexe masculin en parlant de sa compagne comme si l'hétérosexualité allait de soi,
  • l'infirmière scolaire qui conseille systématiquement aux filles d'utiliser des contraceptifs sans s'imaginer qu'il puisse y avoir des lesbiennes dans la classe,
  • ou bien encore les manuels de sexualité masculine ou féminine faisant référence exclusivement aux pratiques hétérosexuelles en sont quelques exemples.

Songeons enfin aux publicités qui présupposent l'attirance érotique pour le sexe contraire afin de promouvoir un produit, les bandes-annonces, les chansons d'amour, les allusions de toute sorte qui célèbrent constamment le désir hétérosexuel, bref, autant de situations qui constituent une violence lorsqu'elles sont présentées comme évidentes et exclusives. La plupart des couples de même sexe refusent de manifester leur tendresse publiquement, de s'embrasser dans la rue ou de prendre le compagnon ou la compagne par la main.

La peur du jugement réprobateur des passants détermine l'ensemble des gestes affectueux des partenaires homosexuels, alors que ces mêmes manifestations sont encouragées et célébrées dès qu'elles prennent la forme hétérosexuelle.

L'approbation de l'espace public est le signe de l'inégalité quotidienne en fonction de laquelle les homosexuels ne peuvent pas manifester ouvertement leur affection, et lorsqu'ils parviennent à surmonter ce regard désapprobateur, ils ne peuvent pas s'empêcher de penser qu'au fond leur attitude est provocatrice, militante ou exhibitionniste. L'éducation relative à la lutte contre l'homophobie consisterait en définitive à sensibiliser la population hétérosexuelle de façon à ce que celle-ci ne considère plus sa sexualité comme incontestable, ni son comportement nécessairement partagé par tous; c'est-à-dire que cette éducation aurait pour objet de montrer que d'autres formes de sexualité peuvent coexister avec la leur, sans pour autant lui nuire ou constituer une provocation de la part des homosexuels.

La sanction des comportements homophobes

Afin de mieux comprendre la portée effective de la répression légale, il semble utile de distinguer les deux formes d'hostilité envers les homosexuel/les que sont les actes de discrimination (faits matériels), d'une part, et les discours de haine (provocation à la discrimination ou à la violence), d'autre part.

Dans le premier cas, en plus du code pénal, plusieurs normes juridiques prévoient, des sanctions contre toute distinction injustifiée, fondée sur l'orientation sexuelle (mœurs). Ce délit est constitué dès lors qu'existe une action ou une omission discriminatoire à l'encontre de la personne ou du groupe visé. Il implique la mise en oeuvre du préjugé avec l'intention de nuire à la victime.

Quant au second cas, celui concernant le discours de la haine, la loi le définit comme toute expression injurieuse, diffamatoire ou incitant à la violence, sachant néanmoins que ce cas n'est pas encore élargi aux discours homophobes. Ce n'est effectivement que très récemment que des propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée Nationale, afin d'étendre à l'homophobie les délits d'injure, de diffamation et de haine, déjà prévus pour le racisme ou l'antisémitisme.

Au-delà de la protection générale dont bénéficie la population dans son ensemble, les gays et les lesbiennes peuvent aussi voir leurs droits sauvegardés contre les agissements discriminatoires. Depuis la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 relative aux discriminations fondées sur les mœurs, divers dispositifs juridiques ont été mis en place afin de contrer les éventuelles exclusions auxquelles s'exposent les individus en raison de leur orientation sexuelle. En ce sens, le code pénal français dans son article 225-1 établit un principe général interdisant toute forme de discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille, l'état de santé, le handicap, les opinions politiques, la race, l'appartenance à une nation, à une religion ou à un syndicat. C'est dans ce même article, et toujours sous la catégorie de mœurs, qu'une protection contre les discriminations envers les homosexuels est prévue. Le code du travail, pour sa part, établit "qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs ...". De même, les règlements intérieurs des entreprises ne peuvent comporter de dispositions lésant les salariés, notamment en raison de leurs mœurs. Au niveau européen, le traité d'Amsterdam introduit pour la première fois dans le droit communautaire les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle.

Cependant, en dehors de ces cadres établis par la loi, les homosexuels subissent encore de nombreuses discriminations considérées comme légitimes par l'État.

Songeons en particulier à l'exclusion du mariage pour les unions de même sexe. En effet, bien que le Pacte civil de solidarité (PACS) ait permis de mettre fin à certaines situations de précarité, de nombreuses inégalités subsistent en droit français, notamment en matière de filiation, de droit social ou de droit de la nationalité. Les arguments contre la liberté matrimoniale des unions de même sexe avancés par les autorités politiques, religieuses ou intellectuelles, sont la preuve des méfiances que suscitent encore les couples homosexuels. Comme jadis ce fut le cas pour les juifs, les protestants, les colonisés ou les comédiens qui étaient exclus du sacrement matrimonial, aujourd'hui les gays et les lesbiennes sont privés du droit au mariage civil et laïque.

L'élargissement du mariage a été systématiquement revendiqué par les associations gays, mais la question n'a pas été débattue en France, et rares sont ceux qui l'ont évoquée. Au-delà de la portée symbolique qu'implique une telle reconnaissance, le PaCS, en instituant une sorte de sous-mariage homosexuel, bénéficie du triste privilège d'instaurer une forme subtile de ségrégation envers une catégorie de couples. Ne pouvant pas accéder au mariage, les unions de même sexe doivent en effet se contenter d'un statut inférieur dans lequel un nombre important de droits fondamentaux sont inexistants. Si l'homosexuel se trouve relativement protégé à titre individuel contre les discriminations dont il est victime, en revanche, en tant que couple, les gays et les lesbiennes sont encore placés dans une situation d'inégalité par rapport aux unions hétérosexuelles.

En ce qui concerne la seconde forme d'hostilité, le discours de haine, précisons que cette notion renvoie essentiellement aux appels à la violence raciste ou antisémite. Incriminés par une loi de 1881 (modifiée en 1972) sur la presse, les délits d'injure, de diffamation et d'incitation à la violence raciale ou religieuse organisent la protection pénale des individus et des groupes contre les propos haineux. Mais celle-ci n'incrimine pas les discours homophobes, permettant que de tels propos injurieux soient impunément tenus.

Les exemples sont nombreux :

Sous la plume d'un historien médiatique nous avons pu lire que "... la pédophilie a pris une extension calamiteuse. Le fait de confier des enfants à des couples d'homosexuels masculins (comme cela se produira un jour ou l'autre par l'évolution logique des mentalités), ce fait là ne manquera donc pas d'accroître encore les risques pédophiliques qui sont déjà en plein essor."

Pour d'importants politiques, "les homosexuels, à toujours vouloir des droits, font de l'intégrisme, et, au passage, font monter le Front national". L'homosexualité c'est l'impossibilité d'un être à pouvoir atteindre l'autre dans sa différence sexuelle, c'est-à-dire l'expression de l'exclusion ...

Comme traduction du mot "PaCS", le sénateur Emmanuel Hamel a proposé "Pratique de contamination sidaïque". Un tract a été envoyé à des centaines de milliers de personnes, dans lequel on pouvait lire : "Ce qui caractérise les unions entre invertis, en plus de pratiques nauséabondes contre nature, c'est une très grande instabilité ... Les sodomites et les adeptes de l'amour libre comptent sur votre inertie ... Je vous demande de vous mobiliser pour défendre la civilisation, la famille et la France."

Le 15 avril 1998, le journal Le Monde annonce : "12 000 maires s'opposent au contrat d'union sociale" (version antérieure au PaCS). Michel Coulon, maire sociale de Le Fay en Saône-et-Loire, déclare qu'il se "ferait porter malade" s'il devait "effectuer une telle union contre nature". Jean-Pierre Leclerc, maire d'Epenouse, dans le Doubs, explique qu'il préférerait démissionner plutôt que de "se prêter à une telle exaction".

Dans une marche publique organisée par les adversaires du PaCS, des slogans tels que "Pas de neveux pour les tantouzes" ou "Les homosexuels d'aujourd'hui sont les pédophiles de demain !" furent affichés dans les rues de Paris sans que les homosexuels n'aient pu engager de poursuites judiciaires. L'homophobie que l'on imaginait douce, implicite et quelque peu endormie s'est brutalement réveillée. L'ensemble des héritiers de la tradition homophobe étaient présents : des associations catholiques, musulmanes, protestantes et juives défilaient côte à côte avec l'extrême droite et la bourgeoisie conservatrice. La vieille répulsion viscérale s'adonna frénétiquement aux passions homophobes. Face à une telle violence, la nécessité d'une loi protégeant les homosexuels commencent à s'imposer dans les esprits. En effet, quelques mois plus tard, le 18 octobre, la première proposition de loi élargissant la provocation la discrimination et à la violence homophobe a été présentée par le député libéral F. Léotard. Depuis, plusieurs projets ont été élaborés par d'autres formations politiques et par les principales associations de défense des droits de l'homme. Tous proposent d'élargir à l'orientation sexuelle les incriminations pénales d'injure, de diffamation et de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes.

Depuis la fin du XIXème siècle, la loi protège les individus et les groupes contre ces attaques verbales insultantes. La diffamation est définie comme l'allégation ou l'imputation d'un fait précis qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel il est imputé. L'injure est une expression outrageante utilisant des termes de mépris ou d'offense, mais, à la différence de la diffamation, elle ne contient l'imputation d'aucun fait déterminé. La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, pour notamment des raisons sociales, envers une personne ou un groupe de personnes, est également sanctionnée par le droit. Si depuis plusieurs années les associations de lutte contre le racisme peuvent se porter partie civile, ce n'est que très récemment (grâce à un amendement proposé par le député Jean-Pierre Michel le 10 février 2000) que les associations gays bénéficient également d'une telle possibilité.

La loi contre l'homophobie et l'identité gay

Il ne s'agit nullement de considérer que l'orientation sexuelle puisse constituer la substance d'une identité. Prétendre cela impliquerait d'enfermer des personnes dans un système d'attitudes et de comportements les limitant à une conscience de soi à peine choisie. La sexualité d'un individu semble un élément trop peu significatif pour prétendre le définir. La "personnalité homosexuelle" n'existe pas. Cette idée, élaborée par une idéologie normative de type médico-hygiéniste, est complètement inefficace pour la sauvegarde des personnes; entre autres parce qu'elle n'a jamais eu de visée protectrice mais répressive. La banalisation institutionnelle de l'homosexualité semble une étape nécessaire pour se dessaisir de l'idéologie essentialiste, productrice d'une espèce artificielle (l'homosexualité) dans laquelle on cherche encore à classer une masse hétérogène d'individus (les homosexuel/les). Or, rien ne permet de constituer un tel groupe monolithique en fonction du seul désir sexuel. L'approche minoritaire, spécialement lorsque ses fondements demeurent contestables en termes de caractérisation, peut avoir des effets pervers difficilement maîtrisables. C'est pourquoi la voie de la non-discrimination et de la répression des violences contre les gays et les lesbiennes constitue une sauvegarde non seulement pour eux, mais également contre toute tentation identitariste; car ce n'est pas en fonction d'une quelconque appartenance à une "nature", à une "essence" ou à un "groupe homosexuel" que les gays et les lesbiennes doivent être protégés. C'est par conséquent l'homophobie du "bourreau", et non pas l'homosexualité de la victime qui doit devenir l'objet d'opprobre et de sanction.

Daniel BORRILLO, Maître de conférences Université Paris X

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