De
même que le racisme, l'antisémitisme ou la misogynie,
l'hostilité envers les gays et les lesbiennes est avant
tout le résultat de l'impossibilité de se représenter
la différence, surtout lorsque celle-ci est perçue
comme menaçante ou simplement dérangeante.
Depuis des dizaines
d'années on a cessé de considérer l'homosexualité
comme une conduite déviante, et si l'on accepte que la
"différence homosexuelle" est dépourvue de
tout sens politique, aucun motif ne justifie que lui
soit réservé un traitement juridique d'exception. En
effet, les homosexuel/les ne constituent pas une
communauté et encore moins un sujet politique.
L'homosexualité a certes profondément marqué la vie
de nombreuses personnes, elle n'a pourtant pas d'autre
signification que celle attribuée individuellement par
chaque gay et chaque lesbienne. S'il n'y a pas de
communauté homosexuelle, il existe en revanche une véritable
"communauté hétérosexiste" instituée par
l'homophobie.
L'homosexualité
n'existe pas, en ce sens qu'elle n'est en réalité rien
d'autre que l'invention impersonnelle d'une homophobie
sociale qui a fabriqué une sorte de "nature hétérosexuelle"
sur la base d'un postulat extrêmement simple : un hétérosexuel
est le contraire d'un homosexuel.
Ce puissant sentiment
d'appartenance, de participation naturelle et spontanée
à l'hétérosexualité, a pour effet de provoquer une
adhésion immédiate, irréfléchie, à une identité
ressentie comme originaire dans laquelle les
"normaux" (hétérosexuels) de tous milieux
peuvent se reconnaître. Or, cette construction sociale
de la normalité n'a rien de naturel; des centaines de
traités théologiques, des encyclopédies médicales,
des recommandations morales, des codes, des règlements,
mais aussi des contes de fées, des films et des romans
ont été nécessaires pour enraciner ce sentiment au
plus profond des consciences. Signaliser l'autre pour se
conforter soi-même, voici la logique d'un mécanisme
psychologique bien rodé qui a rapporté la preuve de
son efficacité dans bien d'autres domaines (racisme,
antisémitisme, xénophobie...).
Préalablement à la répression,
la lutte contre l'homophobie nécessite donc une action
pédagogique destinée à modifier cette double image
ancestrale d'une hétérosexualité vécue comme
naturelle et d'une homosexualité présentée comme un
dysfonctionnement affectif et moral.
L'homosexualité est un
préjugé et une ignorance qui consiste à croire en la
suprématie de l'hétérosexualité. C'est effectivement
ce parti pris qui mérite d'être interrogé. Au nom de
quel principe et en vertu de quelle thèse peut-on
encore continuer à soutenir que l'hétérosexualité
est préférable à l'homosexualité ? Peut-on accepter
l'invocation des exigences de la reproduction de l'espèce
pour fonder un tel jugement ? La tradition peut-elle
encore justifier le traitement de faveur dont l'hétérosexualité
bénéficie ?
Les raisons qui ont
conduit à croire en la prééminence de l'accouplement
hétérosexuel sont aujourd'hui contestées. En réalité,
l'homophobie constitue une menace pour les valeurs démocratiques
de la compréhension et de respect d'autrui, en ce sens
qu'elle promeut l'inégalité des individus en fonction
de leurs simples désirs, encourage la rigidité des
genres et favorise l'hostilité envers l'autre.
En tant que problème
social, l'homophobie doit être considérée comme un délit
susceptible d'être une sanction juridique.
Toutefois, la dimension
répressive est dépourvue de sens si elle n'est pas
accompagnée d'une action préventive. En effet, un
nombre important de personnes considèrent encore que
l'homosexualité constitue un dysfonctionnement
psychologique, voire une maladie. Le débat autour de la
reconnaissance légale des couples de même sexe en
France a donné lieu en France à de nombreuses réactions,
parmi lesquelles une marche au centre de la capitale le
31 janvier 1999, au cours de laquelle des milliers de
personnes vociféraient le slogan "les pédés au bûcher",
sans que cela n'ait soulevé la moindre indignation. Or,
la prise de conscience de la gravité du phénomène
homophobe semble un préalable nécessaire à toute
action répressive, car dans le cas contraire celle-ci
sera nécessairement ressentie comme partiale, au
service exclusif des intérêts d'une partie de la
population. En réalité, l'homophobie est non seulement
une violence contre les homosexuels, mais également une
agression contre les valeurs qui fondent la démocratie.
"Je me croirais le plus heureux des mortels, si je
pouvais faire que les hommes pussent se guérir de leurs
préjugés", écrivait Montesquieu dans son Esprit
des lois; moins ambitieux, nous devons prendre
conscience de la violence des préjugés, et c'est
seulement si cette entreprise s'avérait impuissante
qu'il faudrait envisager d'en appeler aux instruments répressifs
du droit.
La prévention de l'homophobie
La violence et la
discrimination à l'égard des homosexuels se déroule
fréquemment dans la plus grande indifférence de la
population. Régulièrement nous apprenons que de
nombreux gays, lesbiennes, bisexuels, travestis et
transsexuels vivent dans la crainte de subir des
agressions du simple fait de leur orientation sexuelle.
Dans un rapport accablant, Amnesty International dénonce
les meurtres, les exécutions légales, les tortures,
les viols, les thérapies forcées, les licenciements
abusifs et les insultes dont les homosexuels sont encore
souvent victimes. Les pays ayant décriminalisé
l'homosexualité sont minoritaires, et elle demeure dans
la plupart des cas punie d'une peine d'emprisonnement.
En Afghanistan, en Iran, en Mauritanie, en Tchétchénie
et au Soudan, les homosexuels sont passibles de
lapidation ou de flagellation et ils peuvent subir la
peine capitale.
Les paroles récentes
de l'ayatollah Musava Ardelsili à l'Université de Téhéran
nous ramènent au passé inquisitorial du Moyen Age
européen : "Pour les homosexuels, l'Islam a
prescrit les peines les plus sévères ... Après que la
preuve a été établie conformément à la Charia, il
faudra se saisir de la personne, la maintenir debout, la
partager en deux avec une épée et soit lui trancher la
tête, soit la fendre en deux toute entière. Il (ou
elle) tombera ... Après sa mort, il faudra dresser un bûcher,
placer le cadavre dessus, y mettre le feu et le brûler,
ou bien l'emporter sur une montagne et le précipiter.
Puis les morceaux du cadavre devront être rassemblés
et brûlés. Ou alors il faudra creuser un trou, y faire
un feu et l'y jeter vivant(e). Nous n'avons pas de
telles punitions pour d'autres crimes."
Même dans les États où
la loi ne proscrit pas l'homosexualité, des gays et des
lesbiennes sont souvent victimes du harcèlement
policier. Ainsi, "au Royaume-Uni, des allégations
faisant état du mauvais traitement envers des
homosexuel(le)s ont été portées à la connaissance d'Amnesty
International". Au Brésil et en Colombie des
escadrons de la mort sont à l'origine de centaines
d'assassinats de gays et de travestis. Plusieurs chefs
États africains profèrent régulièrement des injures
homophobes, celui du Zimbabwe a ainsi récemment déclaré
que "les homosexuels sont pires que les porcs et
les chiens."
En France les
agressions physiques et verbales contres les
homosexuel(le)s sont toujours nombreuses et contribuent
à la culpabilisation des personnes qui croient que leur
homosexualité constitue un handicap difficile à
surmonter. Cette "homophobie introjectée",
cette hostilité intériorisée représente la forme la
plus sournoise des violences hétérosexistes.
L'ensemble des situations évoquées démontre la méconnaissance
généralisée de la "question gay et
lesbienne". Si aujourd'hui les insultes les plus
courantes sont celles de "pédé" (abr. de
"pédéraste" ) ou "enculé", cela
illustre la banalisation de cette agression, de cette
forme de violence symbolique véhiculant la haine vis-à-vis
de ceux qui s'écartent de la norme hétérosexuelle.
Chaque insulte proférée rappelle ainsi l'existence de
l'ordre sexuel et de sa hiérarchie.
La première tâche pédagogique
consisterait donc à questionner cet ordre hétérosexiste
et à mettre en évidence que la hiérarchie des
sexualités est aussi insupportable que celle des races
ou des sexes.
Le chantier est vaste,
compte tenu du caractère diffus de l'homophobie. Comme
le racisme, elle constitue d'abord une expérience vécue;
pour reprendre l'expression d'A. Memmi : "Nous
l'ingurgitions avec nos premières galettes ou nos
premiers beignets à l'huile." Les discours et les
théories viennent après pour conforter cet a priori.
L'entreprise pédagogique
devra commencer par dénoncer l'ensemble des codes
culturels et des structures sociales qui transmettent
les valeurs renforçant les préjugés et la
discrimination à l'égard des gays et des lesbiennes.
C'est tout d'abord aux familles qu'il faudra s'adresser
afin que les parents comprennent qu'un fils gay ou une
fille lesbienne ne constitue nullement un problème,
mais qu'en revanche, le rejet ou la non-acceptation de
ses enfants en raison de leur orientation sexuelle et la
violence traumatisant qu'ils impliquent, doivent être
les véritables sujets de préoccupation. L'annonce de
leur différence aux proches, et principalement aux
membres de leur famille, constitue en effet la
principale source d'angoisse des adolescents
homosexuels.
L'école a également
un rôle capital à jouer dans la lutte contre l'intolérance.
Elle doit faire comprendre que l'égalité des gays et
des lesbiennes est l'affaire de tous. Dans les cours et
les manuels, l'homosexualité et la bisexualité
devraient être présentées comme des manifestations de
la sexualité aussi légitimes et épanouissantes que
l'hétérosexualité.
Enfin, l'homosexualité
des personnages historiques, littéraires ou
scientifiques pourrait être évoquée tout aussi
naturellement que le mariage de telle reine ou les
aventures amoureuses de tel révolutionnaire. Mieux intégrer
l'idée de la diversité sexuelle ainsi que l'importance
des valeurs d'égalité et de non-discrimination à l'égard
des homosexuel/les devrait faire partie de la formation
des professionnels amenés à travailler en relation
avec certains aspects de la vie privée des citoyens en
particulier leur orientation sexuelle. Pendant
longtemps, la police, les juges, les médecins, les
psychiatres, entre autres, ont activement participé à
la répression des gays et des lesbiennes; c'est donc au
sein de ces professions qu'il conviendra principalement
de développer des actions pédagogiques.
Dans un rapport de
1994, la Commission des droits de la personne du Québec
a élaboré des propositions destinées à lutter contre
la violence et les discriminations envers les
homosexuel/les.
Elle recommande ainsi
que soient prises toutes les mesures permettant de
"garantir une sensibilisation adéquate et
approfondie au vécu des gays et lesbiennes et une
conscientisation des intervenants relativement à leurs
préjugés homophobiques". Des campagnes de
sensibilisation, des programmes d'information et de
formation relatifs à l'orientation sexuelle sur le lieu
de travail, dans les services sociaux, le monde académique
et les autorités judiciaires, sont également proposées
par cette Commission. Une attention particulière est prêtée
à l'éducation publique contre l'hétérosexisme et
l'homophobie. La presse, la radio et la télévision
sont invitées à mettre fin aux clichés et aux stéréotypes
reposant sur l'ignorance et les préjugés et à présenter
une image positive des homosexualités. Enfin, des
mesures spécifiques sont proposées pour soutenir
l'accompagnement des victimes de la violence homophobe.
Dans le même sens, les autorités européennes ne
cessent, depuis vingt ans, d'inviter les États membres
à prendre des dispositions pour mettre fin aux
discriminations et aux violences dont les homosexuels
sont toujours victimes.
Deux propositions de
directives communautaires et une décision du Conseil
mettent en place un programme européen pour évaluer le
degré de tolérance envers les minorités, afin de
combattre efficacement les manifestations
discriminatoires dans l'ensemble des pays membres.
Parmi les acteurs
cibles à associer dans la lutte contre les
discriminations, l'Union européenne donne comme exemple
"les décideurs politiques des administrations
nationales, régionales et locales, les organismes indépendants,
les organisations non gouvernementales, les partenaires
sociaux, les instituts de recherche, les médias, les
formateurs d'opinion, les prestataires de services
sociaux, le système judiciaire et les services chargés
de l'application de la loi." Dans le même ordre
d'idées, un rapport de l'association Stonewall de
Londres propose un plan d'action concernant notamment
les domaines de la police, de l'éducation, du droit, de
la justice pénale, de l'éducation. Il s'agit de
favoriser les liens entre les homosexuels et les
institutions afin de favoriser la compréhension des
difficultés et des violences auxquelles ils sont
soumis. Ce document propose également un guide sur la
violence homophobe ainsi que des séances de
sensibilisation dans les lycées, les universités, et
auprès de l'opinion publique. Une modification de la
loi mettant un terme à toutes les formes de
discrimination et la pénalisation des discours de haine
homophobe est vivement conseillée. Enfin, un budget spécifique
est sollicité en vue de financer les études
scientifiques sur l'homophobie et ses conséquences
psychologiques et sociales.
Certes, la loi peut
favoriser un changement social de l'image des
homosexuels et de l'homosexualité, mais elle demeure
toutefois impuissante si un travail pédagogique ne
l'accompagne pas. La simple proposition de l'hétérosexualité
constitue en soi une violence quotidienne envers ceux
qui ne partagent pas ce sentiment supposé commun :
- le médecin qui
s'adresse à un patient du sexe masculin en parlant
de sa compagne comme si l'hétérosexualité allait
de soi,
- l'infirmière
scolaire qui conseille systématiquement aux filles
d'utiliser des contraceptifs sans s'imaginer qu'il
puisse y avoir des lesbiennes dans la classe,
- ou bien encore les
manuels de sexualité masculine ou féminine faisant
référence exclusivement aux pratiques hétérosexuelles
en sont quelques exemples.
Songeons enfin aux
publicités qui présupposent l'attirance érotique pour
le sexe contraire afin de promouvoir un produit, les
bandes-annonces, les chansons d'amour, les allusions de
toute sorte qui célèbrent constamment le désir hétérosexuel,
bref, autant de situations qui constituent une violence
lorsqu'elles sont présentées comme évidentes et
exclusives. La plupart des couples de même sexe
refusent de manifester leur tendresse publiquement, de
s'embrasser dans la rue ou de prendre le compagnon ou la
compagne par la main.
La peur du jugement réprobateur
des passants détermine l'ensemble des gestes affectueux
des partenaires homosexuels, alors que ces mêmes
manifestations sont encouragées et célébrées dès
qu'elles prennent la forme hétérosexuelle.
L'approbation de
l'espace public est le signe de l'inégalité
quotidienne en fonction de laquelle les homosexuels ne
peuvent pas manifester ouvertement leur affection, et
lorsqu'ils parviennent à surmonter ce regard désapprobateur,
ils ne peuvent pas s'empêcher de penser qu'au fond leur
attitude est provocatrice, militante ou exhibitionniste.
L'éducation relative à la lutte contre l'homophobie
consisterait en définitive à sensibiliser la
population hétérosexuelle de façon à ce que celle-ci
ne considère plus sa sexualité comme incontestable, ni
son comportement nécessairement partagé par tous;
c'est-à-dire que cette éducation aurait pour objet de
montrer que d'autres formes de sexualité peuvent
coexister avec la leur, sans pour autant lui nuire ou
constituer une provocation de la part des homosexuels.
La sanction des
comportements homophobes
Afin de mieux
comprendre la portée effective de la répression légale,
il semble utile de distinguer les deux formes d'hostilité
envers les homosexuel/les que sont les actes de
discrimination (faits matériels), d'une part, et les
discours de haine (provocation à la discrimination ou
à la violence), d'autre part.
Dans le premier cas, en
plus du code pénal, plusieurs normes juridiques prévoient,
des sanctions contre toute distinction injustifiée,
fondée sur l'orientation sexuelle (mœurs). Ce délit
est constitué dès lors qu'existe une action ou une
omission discriminatoire à l'encontre de la personne ou
du groupe visé. Il implique la mise en oeuvre du préjugé
avec l'intention de nuire à la victime.
Quant au second cas,
celui concernant le discours de la haine, la loi le définit
comme toute expression injurieuse, diffamatoire ou
incitant à la violence, sachant néanmoins que ce cas
n'est pas encore élargi aux discours homophobes. Ce
n'est effectivement que très récemment que des
propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée
Nationale, afin d'étendre à l'homophobie les délits
d'injure, de diffamation et de haine, déjà prévus
pour le racisme ou l'antisémitisme.
Au-delà de la
protection générale dont bénéficie la population
dans son ensemble, les gays et les lesbiennes peuvent
aussi voir leurs droits sauvegardés contre les
agissements discriminatoires. Depuis la loi n° 85-772
du 25 juillet 1985 relative aux discriminations fondées
sur les mœurs, divers dispositifs juridiques ont été
mis en place afin de contrer les éventuelles exclusions
auxquelles s'exposent les individus en raison de leur
orientation sexuelle. En ce sens, le code pénal français
dans son article 225-1 établit un principe général
interdisant toute forme de discrimination fondée sur le
sexe, la situation de famille, l'état de santé, le
handicap, les opinions politiques, la race,
l'appartenance à une nation, à une religion ou à un
syndicat. C'est dans ce même article, et toujours sous
la catégorie de mœurs, qu'une protection contre les
discriminations envers les homosexuels est prévue. Le
code du travail, pour sa part, établit "qu'aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou
licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses
mœurs ...". De même, les règlements intérieurs
des entreprises ne peuvent comporter de dispositions lésant
les salariés, notamment en raison de leurs mœurs. Au
niveau européen, le traité d'Amsterdam introduit pour
la première fois dans le droit communautaire les
discriminations fondées sur l'orientation sexuelle.
Cependant, en dehors de
ces cadres établis par la loi, les homosexuels
subissent encore de nombreuses discriminations considérées
comme légitimes par l'État.
Songeons en particulier
à l'exclusion du mariage pour les unions de même sexe.
En effet, bien que le Pacte civil de solidarité (PACS)
ait permis de mettre fin à certaines situations de précarité,
de nombreuses inégalités subsistent en droit français,
notamment en matière de filiation, de droit social ou
de droit de la nationalité. Les arguments contre la
liberté matrimoniale des unions de même sexe avancés
par les autorités politiques, religieuses ou
intellectuelles, sont la preuve des méfiances que
suscitent encore les couples homosexuels. Comme jadis ce
fut le cas pour les juifs, les protestants, les colonisés
ou les comédiens qui étaient exclus du sacrement
matrimonial, aujourd'hui les gays et les lesbiennes sont
privés du droit au mariage civil et laïque.
L'élargissement du
mariage a été systématiquement revendiqué par les
associations gays, mais la question n'a pas été débattue
en France, et rares sont ceux qui l'ont évoquée.
Au-delà de la portée symbolique qu'implique une telle
reconnaissance, le PaCS, en instituant une sorte de
sous-mariage homosexuel, bénéficie du triste privilège
d'instaurer une forme subtile de ségrégation envers
une catégorie de couples. Ne pouvant pas accéder au
mariage, les unions de même sexe doivent en effet se
contenter d'un statut inférieur dans lequel un nombre
important de droits fondamentaux sont inexistants. Si
l'homosexuel se trouve relativement protégé à titre
individuel contre les discriminations dont il est
victime, en revanche, en tant que couple, les gays et
les lesbiennes sont encore placés dans une situation
d'inégalité par rapport aux unions hétérosexuelles.
En ce qui concerne la
seconde forme d'hostilité, le discours de haine, précisons
que cette notion renvoie essentiellement aux appels à
la violence raciste ou antisémite. Incriminés par une
loi de 1881 (modifiée en 1972) sur la presse, les délits
d'injure, de diffamation et d'incitation à la violence
raciale ou religieuse organisent la protection pénale
des individus et des groupes contre les propos haineux.
Mais celle-ci n'incrimine pas les discours homophobes,
permettant que de tels propos injurieux soient impunément
tenus.
Les exemples sont
nombreux :
Sous la plume d'un
historien médiatique nous avons pu lire que "...
la pédophilie a pris une extension calamiteuse. Le fait
de confier des enfants à des couples d'homosexuels
masculins (comme cela se produira un jour ou l'autre par
l'évolution logique des mentalités), ce fait là ne
manquera donc pas d'accroître encore les risques pédophiliques
qui sont déjà en plein essor."
Pour d'importants
politiques, "les homosexuels, à toujours vouloir
des droits, font de l'intégrisme, et, au passage, font
monter le Front national". L'homosexualité c'est
l'impossibilité d'un être à pouvoir atteindre l'autre
dans sa différence sexuelle, c'est-à-dire l'expression
de l'exclusion ...
Comme traduction du mot
"PaCS", le sénateur Emmanuel Hamel a proposé
"Pratique de contamination sidaïque". Un
tract a été envoyé à des centaines de milliers de
personnes, dans lequel on pouvait lire : "Ce qui
caractérise les unions entre invertis, en plus de
pratiques nauséabondes contre nature, c'est une très
grande instabilité ... Les sodomites et les adeptes de
l'amour libre comptent sur votre inertie ... Je vous
demande de vous mobiliser pour défendre la
civilisation, la famille et la France."
Le 15 avril 1998, le
journal Le Monde annonce : "12 000 maires
s'opposent au contrat d'union sociale" (version antérieure
au PaCS). Michel Coulon, maire sociale de Le Fay en Saône-et-Loire,
déclare qu'il se "ferait porter malade" s'il
devait "effectuer une telle union contre
nature". Jean-Pierre Leclerc, maire d'Epenouse,
dans le Doubs, explique qu'il préférerait démissionner
plutôt que de "se prêter à une telle
exaction".
Dans une marche
publique organisée par les adversaires du PaCS, des
slogans tels que "Pas de neveux pour les
tantouzes" ou "Les homosexuels d'aujourd'hui
sont les pédophiles de demain !" furent affichés
dans les rues de Paris sans que les homosexuels n'aient
pu engager de poursuites judiciaires. L'homophobie que
l'on imaginait douce, implicite et quelque peu endormie
s'est brutalement réveillée. L'ensemble des héritiers
de la tradition homophobe étaient présents : des
associations catholiques, musulmanes, protestantes et
juives défilaient côte à côte avec l'extrême droite
et la bourgeoisie conservatrice. La vieille répulsion
viscérale s'adonna frénétiquement aux passions
homophobes. Face à une telle violence, la nécessité
d'une loi protégeant les homosexuels commencent à
s'imposer dans les esprits. En effet, quelques mois plus
tard, le 18 octobre, la première proposition de loi élargissant
la provocation la discrimination et à la violence
homophobe a été présentée par le député libéral
F. Léotard. Depuis, plusieurs projets ont été élaborés
par d'autres formations politiques et par les
principales associations de défense des droits de
l'homme. Tous proposent d'élargir à l'orientation
sexuelle les incriminations pénales d'injure, de
diffamation et de provocation à la discrimination, à
la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou
d'un groupe de personnes.
Depuis la fin du XIXème
siècle, la loi protège les individus et les groupes
contre ces attaques verbales insultantes. La diffamation
est définie comme l'allégation ou l'imputation d'un
fait précis qui porte atteinte à l'honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel il est
imputé. L'injure est une expression outrageante
utilisant des termes de mépris ou d'offense, mais, à
la différence de la diffamation, elle ne contient
l'imputation d'aucun fait déterminé. La provocation à
la discrimination, à la haine ou à la violence, pour
notamment des raisons sociales, envers une personne ou
un groupe de personnes, est également sanctionnée par
le droit. Si depuis plusieurs années les associations
de lutte contre le racisme peuvent se porter partie
civile, ce n'est que très récemment (grâce à un
amendement proposé par le député Jean-Pierre Michel
le 10 février 2000) que les associations gays bénéficient
également d'une telle possibilité.
La loi contre
l'homophobie et l'identité gay
Il ne s'agit nullement
de considérer que l'orientation sexuelle puisse
constituer la substance d'une identité. Prétendre cela
impliquerait d'enfermer des personnes dans un système
d'attitudes et de comportements les limitant à une
conscience de soi à peine choisie. La sexualité d'un
individu semble un élément trop peu significatif pour
prétendre le définir. La "personnalité
homosexuelle" n'existe pas. Cette idée, élaborée
par une idéologie normative de type médico-hygiéniste,
est complètement inefficace pour la sauvegarde des
personnes; entre autres parce qu'elle n'a jamais eu de
visée protectrice mais répressive. La banalisation
institutionnelle de l'homosexualité semble une étape nécessaire
pour se dessaisir de l'idéologie essentialiste,
productrice d'une espèce artificielle (l'homosexualité)
dans laquelle on cherche encore à classer une masse hétérogène
d'individus (les homosexuel/les). Or, rien ne permet de
constituer un tel groupe monolithique en fonction du
seul désir sexuel. L'approche minoritaire, spécialement
lorsque ses fondements demeurent contestables en termes
de caractérisation, peut avoir des effets pervers
difficilement maîtrisables. C'est pourquoi la voie de
la non-discrimination et de la répression des violences
contre les gays et les lesbiennes constitue une
sauvegarde non seulement pour eux, mais également
contre toute tentation identitariste; car ce n'est pas
en fonction d'une quelconque appartenance à une
"nature", à une "essence" ou à un
"groupe homosexuel" que les gays et les
lesbiennes doivent être protégés. C'est par conséquent
l'homophobie du "bourreau", et non pas
l'homosexualité de la victime qui doit devenir l'objet
d'opprobre et de sanction.
Daniel
BORRILLO, Maître de conférences Université Paris X |